En Suisse, " la gauche " en guerre contre l’achat du chasseur « F-35 » américain

, par  DMigneau , popularité : 0%

En Suisse, " la gauche " en guerre contre l’achat du chasseur « F-35 » américain

Un chasseur F-35. NurPhoto via AFP

Une alliance de partis de " la gauche " helvète lance ce mardi 31 août une campagne contre l’acquisition du « F-35 A » américain, qui avait remporté " l’appel d’offres " destiné à remplacer la flotte vieillissante d’avions de chasse suisse.

Au terme d’une campagne " d’initiative populaire ", le but de " la gauche " est de déclencher une votation contre le « F-35 ».

Un " projet d’acquisition sur-dimensionné et horriblement coûteux " : le " Groupe pour une Suisse sans armée ", le " Parti socialiste suisse " et les " Verts " ne mâchent pas leurs mots lorsqu’il s’agit de dire " tout le bien " qu’ils pensent du « F-35 ».

Les trois partis lancent ce mardi 31 août l’initiative " Stop F-35 ", qui, si elle récolte assez de signatures, débouchera sur une votation sur l’achat de cet avion par la Suisse.

Le « Conseil fédéral » helvète avait annoncé fin juin que le « F-35A » américain avait remporté " l’appel d’offres " destiné à remplacer la flotte vieillissante d’avions de chasse suisse.

Au terme d’un processus d’évaluation confidentiel, " Lockheed-Martin " damait le pion à " Dassault ", dont le " Rafale " était pourtant donné favori. Le gouvernement helvète souhaite en effet acheter 36 « F-35 » pour un prix estimé avoisinant les cinq milliards de francs suisses.

" Batterie de cuisine "

Force est de constater que le choix du « F-35 » - en concurrence avec le F-18 " Super Hornet " américain, l’ "Eurofighter " européen et le " Rafale " français - ne va pas sans quelques interrogations.

Et les explications avancées par le « Conseil fédéral » suisse ont bien du mal à les dissiper. Critiqué par le « Congrès » américain lui-même comme " peu fiable " et très coûteux, le « F-35 » est pourtant présenté par « l’exécutif » suisse comme l’appareil " le plus avantageux de tous les fournisseurs au niveau des coûts d’exploitation  » et comme celui présentant la meilleure " efficacité de l’exploitation et de la maintenance ".

Rappelons tout de même que ledit « F-35 », tellement apprécié par l’ " US Air Force " que cette dernière souhaite réduire sa commande de 1 765 à 1 050 avions, cumule 871 défaillances selon le « Pentagone ».

Quant à la " modicité " du « F-35 », rappelons tout de même qu’il avait déjà coûté près de 500 milliards de dollars aux États-Unis en 2019, sans pour autant être pleinement opérationnel.

Ce qui n’empêchait pas le président américain Joe Biden de " rappeler l’excellente qualité des deux avions américains " lors de sa visite à Genève mi-juin, selon son homologue suisse, Guy Parmelin.

En septembre 2020, les Suisses avaient approuvé à seulement 50,1 % l’enveloppe pour l’achat de nouveaux avions. Le choix " maximaliste " que représente le « F-35 » fait donc sérieusement " grincer des dents " l’opposition outre-Jura.

" Sur le fond, nous ne sommes pas un parti très militariste, en partant du principe que la Suisse est un pays neutre, entouré de pays amis, protégé par l’Otan. Idéalement, nous ne voulions pas de nouveaux avions, mais là on est dans le pire cas de figure possible ", soupire le conseiller national - l’équivalent d’un député français - Pierre-Alain Fridez, du " Parti socialiste " suisse.

« C’est un avion qui traîne une " batterie de cuisine " derrière lui et qui coûte très cher. On nous explique que c’est un avion parfait, qui n’a aucun problème et qui - en plus - est meilleur marché. »

Le choix du « F-35 » laisse également dubitatif l’ancien pilote de " Rafale " Pierre-Henri Chuet, pour qui les « F-16 » ou « F-18 » américain, tout comme le " Rafale ", correspondaient mieux au cahier des charges opérationnel de nos voisins :

" Ce qu’ils recherchent, c’est un intercepteur. Le F-35 va pouvoir faire le job. Est-ce que c’est le meilleur pour ça ? On peut débattre : il est en tout cas moins maniable que tous ses concurrents de l’appel d’offres, remarque le retraité de l’aéronavale. C’est bizarre de choisir un avion qui est conçu pour faire de la pénétration chez l’ennemi de manière furtive. Ils ont un avion qui a un grand panel de possibilités, mais dont ils n’ont pas l’utilité. Ça revient à aller acheter le pain en Ferrari. »

" Défaire l’image de cet avion dans l’opinion "

Le « Conseil fédéral » tente de justifier son choix en expliquant que, grâce à son simulateur de vol, le « F-35 » " nécessite environ 20 % d’heures de vol en moins que les autres candidats et près de 50 % de décollages et d’atterrissage en moins que les actuels avions à réaction des Forces aériennes qu’il remplacera ".

Un argument balayé par Pierre-Henri Chuet : " D’une part, tout le monde sait faire des simulateurs : on ne choisit pas un avion en fonction de ça, parce que c’est insensé d’un point de vue opérationnel. D’autre part, la Suisse choisit l’avion le plus complexe, et en plus elle va donner moins d’entraînement réel à ses pilotes, alors que plus un avion est simple, plus il est facile à mettre en œuvre dans une petite armée. "

Le conseiller national Pierre-Alain Fridez déplore, en outre, un choix stratégique baroque : « La logique voudrait qu’on fasse le choix d’un avion de combat européen , explique-t-il. Ce n’est pas pour faire un cadeau aux Français, mais personnellement j’étais en faveur du Rafale, parce que si jamais on devait se défendre, ce serait bien sûr en collaboration avec la France. »

Cerise sur le gâteau : alors que la Suisse avait largement la main sur ses avions - confère la version " S " du " Mirage III ", " customisée " en fonction des besoins helvètes -, l’acquisition du « F-35 », dont le logiciel est particulièrement complexe, signifie une forte dépendance à l’égard des États-Unis.

" C’est un énorme problème pour la souveraineté suisse, d’autant plus qu’on sait que les Américains sont très friands de ce genre de contrôle technologique ", s’alarme Pierre-Alain Fridez.

La partie est pourtant loin d’être perdue, selon le conseiller national, qui confie que des représentants de la droite suisse sont également très réservés sur l’acquisition du « F-35 ».

Avec le " PS " suisse, le " Groupement pour une Suisse sans armée " a d’ores et déjà lancé une campagne dite " d’initiative populaire " : moyennant 100 000 signatures, elle permettra de déclencher une votation pour modifier la Constitution suisse, laquelle nécessite la double majorité, au sein du peuple et dans les cantons.

" Au niveau du peuple, ça va, mais au niveau des cantons, dont certains sont très conservateurs, ça pourrait être plus compliqué ", détaille Pierre-Alain Fridez.

Et " impossible n’est pas suisse " : lors d’un précédent appel d’offres en 2014, une votation populaire avait enterré l’avion de combat suédois " Gripen ", présentant pourtant autrement plus de garanties militaires que le « F-35 ».

" Nous avons un an et demi avant une éventuelle votation pour défaire l’image de cet avion dans l’opinion ", résume Pierre-Alain Fridez, opiniâtre.

Louis NADAU

Marianne.fr

Navigation