En Suisse, une éclaircie dans une actualité généralement sombre
En Suisse, une éclaircie dans une actualité généralement sombre
Le 12 février 2017, deux bonnes nouvelles sont sorties des urnes helvétiques. Le principe d’une naturalisation facilitée pour les jeunes étrangers de troisième génération n’a pas été rejeté, ni par les votants, ni par les cantons. Mais surtout, et c’est une surprise, un projet de réforme de l’imposition des entreprises, synonyme de dumping fiscal, de caisses vides et d’austérité, a été balayé.
Le 12 février 2017, deux bonnes nouvelles sont sorties des urnes helvétiques. Le principe d’une naturalisation facilitée pour les jeunes étrangers de troisième génération n’a pas été rejeté, ni par les votants, ni par les cantons. Mais surtout - et c’est une surprise !! - un projet de réforme de l’imposition des entreprises, synonyme de dumping fiscal, de caisses vides et d’austérité, a été balayé.
L’acceptation de la naturalisation facilitée (par cet arrêté fédéral) représente un véritable soulagement tant la mesure proposée était modérée et encore en retrait par rapport à une véritable politique d’intégration : alors qu’une loi d’application très restrictive est déjà prévue, il a été répété constamment que cela n’aurait rien d’automatique et que les jeunes concernés, jusqu’à 25 ans (parce que plus tard ils pourraient tenter d’échapper à leurs obligations militaires), devraient répondre à un certain nombre de conditions quant à leur statut de troisième génération, mais aussi quant à leur comportement (casier judiciaire).
Malgré ces réserves, il faut quand même souligner qu’un tel vote d’ouverture, même si modeste, reste un vote bienvenu qui contraste avec beaucoup trop d’autres scrutins récents qui allaient dans le sens contraire.
L’événement majeur de ce dimanche concerne cependant une tout autre réforme, celle dite de " l’imposition des entreprises " improprement affublée de l’étrange acronyme RIE III.
En gros, et sans entrer dans les détails, il s’agissait de répondre aux exigences internationales en matière de lutte contre le dumping fiscal, soit la mise sur le même pied des entreprises suisses et des multinationales en matière de taux d’imposition.
Cette règle s’impose désormais, et c’est une mesure bienvenue quand on sait jusqu’à quels excès certains cantons étaient allés pour attirer des entreprises en privant d’autres États d’une manne fiscale qui devrait leur revenir.
Mais c’est l’application de ce principe de bon sens qui a débouché depuis quelque temps en Suisse sur une grave confrontation politique et sociale, totalement inédite.
Le calcul des milieux dominants, patronaux et financiers, était simple : mettre tout le monde à égalité au taux le plus bas possible (autour de 13 %) pour ne pas « accabler » (sic) les multinationales, préserver leur présence dans le pays et abaisser en même temps de manière substantielle les taux appliqués aux entreprises suisses qui feraient ainsi une fort belle affaire.
Sauf que cela ne pouvait que vider drastiquement les caisses des collectivités publiques, Confédération, communes et cantons, et mener tout droit à l’austérité et à un démantèlement des prestations sociales.
Les milieux dominants, grandes organisations faîtières de l’économie, partis bourgeois et presse conservatrice, ont alors lancé une vaste opération de " storytelling " pour faire valoir l’illusoire annonce d’un effet miraculeux qu’induiraient ces cadeaux fiscaux : ils finiraient - en effet forcément - nous a-t-on dit sans rire, par créer des postes de travail et de la prospérité ; non sans ajouter - il est vrai - une pincée de présages fort menaçants prédisant la fuite généralisée de toutes les multinationales et avec elles l’envol d’innombrables emplois, si le corps électoral devait refuser de se plier à cette réforme.
En réalité, les experts un peu sérieux s’accordent pour dire que l’argument fiscal n’est pas le seul qui attire des entreprises et que rien ne prouve qu’une imposition plus équitable produirait forcément leur exode massif. Mais surtout, lors de l’élaboration de la réforme, la question des compensations accordées en partie à tous les perdants du processus a été traitée avec une telle arrogance par les milieux dominants qu’ils ont fini par en payer les conséquences.
Balayée à 60 % le 12 février 2017, la RIE III est finalement un échec cuisant pour ses promoteurs.
Ce résultat constitue assurément un événement majeur et une très bonne nouvelle, dans la mesure où, en Suisse, il est très rare qu’une campagne aussi massive de propagande des milieux patronaux et financiers (une enquête a montré conbien elle avait été très déséquilibrée en faveur de la RIE III) ne produise pas ses effets sur les résultats d’une consultation.
Apparemment, il ne suffit plus que ces milieux élèvent la voix, annoncent une catastrophe ou fassent voter la population avec un revolver sur la tempe (comme l’a regretté à juste titre l’historien Laurent Tissot à la radio/dès min. 7’) pour qu’ils obtiennent gain de cause.
Il faudra voir à l’avenir s’il s’agit seulement d’un épiphénomène, d’une sorte de moment éphémère, ou si cette victoire populaire relève d’une évolution durable.
Malheureusement, si l’opposition " socialiste " suisse a remporté une belle victoire, elle s’est empressée de confirmer qu’elle estimait cette réforme nécessaire et voulait seulement la " rééquilibrer ".
Si cela devait conduire à neutraliser les effets de la mesure sur le plan des recettes fiscales, cela constituerait déjà un progrès notable. Mais il est quand même choquant que, sous la pression d’intérêts écomiques locaux, si rares soient les voix qui soulèvent le problème de fond qui est posé dans cette affaire.
En effet, neutralité budgétaire ou pas, le principe qui consiste à attirer des entreprises par une fiscalité avantageuse est tout sauf neutre. Il prive de moyens financiers les collectivités publiques d’autres pays ou régions qui pourraient profiter de ces prélèvements fiscaux qui leur échappent, auxquels ils ont droit et dont ils ont besoin.
Il y a donc ici une question morale et éthique qui se pose aussi, dans un monde malade où la fraude fiscale et les stratégies d’évitement en la matière constituent un facteur majeur de la pauvreté et de la misère. Mais c’est malheureusement une question que personne n’aborde, pas même et surtout pas dans un pays dont l’histoire est marquée par des heures sombres au cours desquelles des intérêts matériels l’ont déjà emporté sur des questions morales.
Alors que le secret bancaire et les placements de fonds illégitimes dans les banques suisses semblent enfin quelque peu remis en question, faut-il donc que la prospérité de la Suisse n’existe qu’au détriment d’autres populations par des mécanismes sans cesse renouvelés ?
Ce n’est pas du tout une fatalité.
Charles Heimberg (Genève)
MediaPart