Ho Chí Minh, qui est-ce ?

, par  DMigneau , popularité : 0%

Ho Chí Minh, qui est-ce ?

Telle était la question que beaucoup de Vietnamiens se posaient au lendemain de la « Révolution » d’août 1945 quand le Président Ho parut Place Ba Đình pour proclamer l’indépendance du pays, mettant fin à quatre-vingts ans de colonisation. Il a fallu plusieurs années pour qu’on puisse identifier Ho Chí Minh comme étant le célèbre patriote Nguyễn Ái Quốc qui avait milité trente ans à l’étranger pour la liberté de son peuple et celle de tous les peuples colonisés avant de revenir au pays.

Mais le problème reste irrésolu quant à l’identification politique de Ho Chí Minh.

Était-il " nationaliste " ou " internationaliste " ? " Marxiste " ou " confucianiste " ? " Républicain ", " communiste " ou " social-démocrate " ?

Le « communisme » pour lui était-il le but de son action ou un moyen tactique ?

De par le monde, historiens, " hommes politiques ", " politologues ", " publicistes " ne sont pas arrivés à trouver des réponses communes à ces questions.

I . Opinions divergentes

Dans sa préface à " Ho Chi Minh à Paris, 1917-1923 " de Thu Trang Gaspard, Philippe Devillers a posé ces questions :

- Au Congrès de Tours, Nguyễn Ái Quốc (Ho Chí Minh), épousant les thèses de Lénine, a voté pour l’adhésion à la IIIᵉ Internationale, mais était-il alors « marxiste » ?

- Avait-il confiance en la mission historique de la " classe ouvrière ", classe alors " toute petite " en Indochine.

- Avait-il confiance en la lutte des classes et la nécessité d’édifier une " dictature du prolétariat " ?

- Pourquoi s’était-il toujours concentré sur le problème colonial lequel primait les autres problèmes ?

Il avait confiance en le mot d’ordre " Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! ", car d’après lui, la libération de son pays ne pourrait se réaliser que par la Révolution et non par de " timides réformes ". Il importe donc de savoir si ce choix était dicté par une foi idéologique, une profonde tendance théorique marxiste ou par un besoin tactique concret.

Si l’attitude du gouvernement français avait été différente, aurait-il fait le même choix ?

Dans son article " Nguyen Ai Quoc - Ho Chi Minh : Portrait d’un blochevik jaune " (1990), Allain Ruscio se demande aussi si Nguyễn Ái Quốc voulait vraiment devenir un " socialiste ".

En guise de réponse, il a cité Tran Dân Tiên, selon lequel Nguyễn Ái Quốc a déclaré : « J’ai adhéré au " Parti socialiste " français uniquement parce que c’était la seule organisation qui poursuivait le noble idéal de la Révolution française : Liberté, Egalité, Fraternité. »

Ruscio implique que Nguyễn Ái Quốc ne faisait allusion qu’à l’idéal républicain français et non à la tradition " socialiste " française ou à la « Révolution d’Octobre » russe.

La première œuvre politique que Nguyễn Ái Quốc avait traduite en vietnamien n’était pas le " Manifeste du Parti communiste " de Marx et Engels ou " L’impérialisme ", stade suprême du « capitalisme » de Lénine, mais " L’esprit des lois " de Montesquieu.

Ruscio remarque aussi qu’on ne trouve chez Nguyễn Ái Quốc à cette époque aucun signe indiquant que ce dernier aurait l’intention de faire du futur Vietnam indépendant un pays " socialiste ".

D’après Pierre Brocheux, Ho Chí Minh était un " confucéen " ; il aimait mieux la modération que les moyens " extrémistes ". Il condamnait la violence et les tueries au cours de la « Réforme agraire », disant que c’était la méthode employée par les " impérialistes ", des agissements criminels.

Toujours selon Brocheux, dans un écrit sur le mouvement des " Cent Fleurs " en Chine, Ho Chí Minh a cité quelques écrivains " droitistes " chinois se gardant de donner un nom vietnamien. (Conférence de P. Brocheux à Toronto, 29 octobre 2003).

Dans son intervention faite au " Troisième Symposium de vietnamologie ", le professeur japonais Yoshiharu Tsuboi de l’Université Waseda a soulevé un problème : peut-être ce qu’Ho Chí Minh estima le plus pendant toute sa vie, ce sont les valeurs républicaines dont la base théorique et la devise " Liberté, Egalité, Fraternité ".

Cet " esprit républicain " représente un noble idéal.

Concernant un individu, il ne tient pas à savoir qui il est, où il est né, à quelle famille et à quelle lignée il appartient ; ce qui lui importe, c’est la valeur intrinsèque de cet individu, sa capacité de penser de manière rationnelle.

La « République » est édifiée par des individus dotés de conceptions nouvelles sur les valeurs de l’Homme, très différentes du " confucianisme ". Ho Chí Minh était le seul homme politique d’Asie à percevoir avec justesse " l’esprit républicain " français, il s’est efforcé de l’introduire au Vietnam.

Devenu " communiste ", Ho Chí Minh n’a cessé de donner la priorité à la lutte pour l’indépendance nationale, à la réalisation du but : " Indépendance, Liberté, Bonheur ".

Le professeur japonais poursuit sa thèse en analysant ces trois concepts.

« Indépendance » : Ho Chí Minh voulait construire un Etat souverain, une république démocratique, former des hommes " nouveaux " capables d’assumer les charges publiques.

Par « Liberté », il fallait entendre non seulement la liberté de décision de « l’Etat », mais aussi la liberté alliée à la responsabilité de chaque citoyen.

« Bonheur » impliquait le droit de chacun à aspirer au bonheur individuel et à lutter pour l’acquérir.

Tsuboi estime que, vu sous cet angle, Ho Chí Minh n’était pas un " communiste marxiste léniniste orthodoxe ".

Expliquer Ho Chí Minh par l’idéologie " marxiste léniniste " est insuffisant, car on se limitera au dogme de la lutte des classes. Dans la lutte de " libération nationale ", pour bénéficier de l’aide du camp " socialiste ", Ho Chí Minh devait parler et agir comme un " communiste " sous la pression historique, il n’avait pas d’autre choix.

En dehors des opinions étrangères, certains chercheurs vietnamiens ont récemment avancé des points de vue personnels sur Ho Chí Minh. Il y en a qui sont d’avis que sous l’ombrelle " communiste ", Ho était plutôt " social-démocrate ".

Le professeur Hoàng Ngọc Hiến estime que l’adhésion " marxiste " de Ho Chí Minh était un processus qu’il importe d’analyser pour mieux comprendre son évolution idéologique.

Nguyễn Ái Quốc avait vécu six mois à Paris avec son mentor, l’avocat Phan Văn Trường, un " socialiste " 100 %.

Que conclure ?

Quelle était la tendance politique et idéologique de Ho Chí Minh ?

II. Ho Chí Minh, qui est-ce ?

Essayons de trouver une réponse.

Pour trouver une réponse claire, je pense qu’on ne peut avancer de manière isolée un ou quelques éléments pour argumenter et conclure. Il faut situer chaque élément dans l’ensemble de la vie de Ho Chí Minh, de sa personnalité, de son fonds culturel, de son comportement, afin d’aboutir à un jugement solide.

David Halberstam avait remarqué dès 1971 : " Ho Chí Minh est l’une des personnalités les plus étranges de notre époque, quelque peu Gandhi, quelque peu Lénine, mais entièrement vietnamien. "

Une appréciation à retenir.

Ho Chí Minh était le plus " vietnamien des Vietnamiens ", la cristallisation des valeurs culturelles et historiques du pays. De là, pour le comprendre, il faut commencer par la culture et l’Homme du Vietnam.

C’est une culture de mansuétude et d’ouverture, capable d’harmoniser, de combiner les éléments positifs, " progressistes " venus du dehors sans restriction ni ségrégation, pourvu qu’ils ne soient pas opposés à « l’humanisme » de la culture vietnamienne.

C’est ainsi que très tôt s’était réalisée l’union des trois religions (Tam giáo đong nguyên) : " confucianisme ", " bouddhisme " et " taoïsme ". Utilitaire, le paysan vietnamien adorait les génies, Bouddha, et même " les esprits ", sans y croire, rien que pour évincer leurs méfaits possibles.

Un trait de l’ancienne sagesse dans le comportement.

Avant de quitter le pas, le jeune Nguyễn Tất Thành (Ho Chí Minh) s’est assimilé une culture nationale et " confucéenne ", un fonds capable de lui permettre d’assimiler les apports étrangers en évitant " l’uniformisation ".

A l’étranger, il a pu voyager beaucoup, enrichir son savoir, voir beaucoup de pays, pratiquer plusieurs métiers, contacter nombre de " grands hommes ", en un mot, faire connaissance avec de nombreuses cultures, participer à de nombreuses organisations (syndicats ouvriers en Angleterre, associations touristiques, artistiques et scientifiques, " Club de Faubourg " à Paris, Parti " socialiste ").

Après son adhésion au PCF, il a fréquenté encore la " Société des Droits de l’Homme ", une " loge maçonnique ". Le marxisme ne l’a pas empêché d’adopter la doctrine de Sun Yatsen. Tout cela pour explorer les méthodes d’organisation, différents régimes " socio-politiques ", en vue de sélectionner ce qu’il y a de meilleur, d’approprié à la lutte de libération nationale et à la construction du futur Vietnam indépendant.

Il n’est point étonnant qu’on le considère comme un symbole de " l’acculturation " « Orient-Occident », ce qui signifie la préservation de son identité propre tout en l’enrichissant par des valeurs universelles.

Le fonds culturel de Ho Chí Minh englobe " l’esprit républicain " français, la démocratie et les « droits de l’Homme » étasuniens, l’éthique confucéenne, la compassion bouddhique, la dialectique marxiste, le léninisme révolutionnaire, la doctrine tripartie du peuple de Sun Yatsen, tout cela " vietnamisé ".

En Europe, il s’habillait et se comportait " à l’occidentale ", mais en Chine, il portait l’uniforme du soldat de la " 8ᵉ Armée de marche ", en Thaïlande, il rejoignait la communauté des bonzes.

A Chỉ Thôn (Yunnan), il a écrit et prononcé en vietnamien l’oraison funèbre de nos compatriotes victimes des bombes japonaises.

" L’homme de la réussite " est celui qui sait s’adapter à la réalité sans se renier.

Ho Chí Minh a déclaré : " Je suis resté tel que j’étais, un patriote. "

Ho Chí Minh, qui est-ce ?

Soulevons quelques points.

Ho Chí Minh interprète le " républicanisme " sous l’angle de la lutte pour l’indépendance nationale.

Les premiers apports de la culture étrangère au jeune Ho Chí Minh, la culture française, ont causé un impact durable sur son style de vie et sa pensée. Il a acquis en France l’idéal des « droits de l’Homme » et du gouvernement par la loi propagée par les philosophes de « la Lumière », l’appliquant à la lutte contre le colonialisme pour l’indépendance des peuples colonisés.

Les " Revendications du peuple annamite " en 8 points, son préambule à la " Proclamation de l’indépendance " ainsi que la première Constitution du Vietnam en 1946 portent l’empreinte des valeurs républicaines françaises, partie intégrante des motivations politiques de Ho Chí Minh.

Mais est-ce là le seul but poursuivi par lui ?

C’est à discuter.

A mon avis, le but de sa vie, comme Ho Chí Minh l’a dit lui-même, c’est "
l’indépendance pour mon pays, la liberté pour mes compatriotes ; c’est là tout ce que je désire, tout ce que j’envisage.
"

Ces valeurs importantes ne figurent pas concrètement dans la devise républicaine française. Ho Chí Minh les a explicitées lors des " pourparlers de Fontainebleau " en 1946 : « Les Français et les Vietnamiens ont foi en la force morale des mots " Liberté " – "Egalité " – "Fraternité " – "Indépendance " ». Il a ajouté à ce slogan le mot " Indépendance " pour prendre les Français au mot.

" La France voulait l’indépendance, pourquoi la refuser au Vietnam ? "

Le professeur japonais n’a pas montré l’interprétation de la devise française par Ho Chí Minh.

Dans cette devise, le mot " Liberté " désigne essentiellement la liberté de l’individu parce que le " républicanisme " français provient de la notion originelle de l’individu, de la liberté individuelle.

Ho Chí Minh, nourri de culture vietnamienne communautaire, donnait priorité à la nation et non à l’individu. La liberté pour lui était avant tout la liberté de la nation, la conquête de la liberté individuelle étant d’importance prioritaire.

Tous les humains naissent libres et égaux. C’est un droit " naturel ". Si « l’Occident » conçoit surtout l’égalité des individus, Ho Chí Minh met l’accent sur l’égalité des peuples. Partant de la « Déclaration d’indépendance » étasunienne, Ho Chí Minh a élargi le concept : " Tous les peuples du monde sont nés égaux, chaque peuple a droit à la vie, au bonheur et à la liberté ".

J’aimerais traduire le mot " fraternité " en vietnamien par " hữu ái " et non " bác ái " qui signifierait plutôt " philanthropie ". Cela conviendrait mieux à Ho Chí Minh.

En un mot, Ho Chí Minh voit le slogan " Liberté, Egalité, Fraternité " non à travers le prisme individualiste de la « Révolution bourgeoise » d’Europe mais sous l’angle d’un peuple opprimé d’Asie.

Ho Chí Minh, exclusivement " nationaliste " ?

Ho Chí Minh est avant tout un patriote ardent. Le choix de son nom, Nguyễn Ái Quốc (" Nguyễn le Patriote ") le dit.

En 1960, il a écrit dans " La voie qui m’a mené au léninisme " : « Au début, c’est le patriotisme et non le communisme qui m’a conduit à Lénine, à la " IIIᵉ Internationale ". Pas à pas, à travers la lutte, l’étude théorique du " marxisme " alliée à l’action concrète, j’ai réalisé que seul le " socialisme ", le " communisme ", pourrait libérer les peuples opprimés et les travailleurs du monde de la servitude. »

Ainsi, sa profession de foi est claire. Il est à la fois " nationaliste " et " internationaliste ". Il ne faut pas se contenter d’une distinction manichéenne. Mais dans cette diversité idéologique, il importe de définir l’essentiel de sa personnalité.

Le jeune Ho Chí Minh avait quitté son pays " esclave " pour chercher une voie du salut national et de modernisation du pays.

Plus tard, il devait écrire : " J’en n’ai qu’un désir, un désir suprême, c’est de redonner à notre pays l’indépendance totale, à notre peuple une liberté totale, pour que tous nos compatriotes aient assez de nourriture, de vêtements et d’instruction. "

" L’amour du pays " est devenu pour lui sa raison de vivre, le critère pour juger les gens et les affaires.

Au congrès du PCF à Tours, on lui a posé la question : « Pour quelle " Internationale " votez-vous ? »

Il a demandé : " Laquelle défend les peuples coloniaux ? "

Sachant que c’est la " IIIᵉ ", il a adhéré à la " IIIᵉ ", un choix non impulsif mais motivé par l’impératif de la lutte « anti-coloniale ».

Au cours de ses premières années à l’étranger, Ho Chí Minh a visité le monde en quête d’une solution pour libérer son pays. Mais il n’a trouvé aucun appui, parce que pendant les deux premières décennies du XXᵉ siècle, l’émancipation des pays coloniaux est un problème tout à fait nouveau, dépassant la vision commune.

Marx et Engels n’ont pas donné de réponse claire, la " IIᵉ Internationale ", handicapée par un internationalisme limité, soutient le colonialisme.

La lutte des peuples coloniaux reste sporadique et faible.

Ho Chí Minh le patriote a évolué vers la révolution prolétarienne sous l’impact de plusieurs évènements :

- la « Révolution d’Octobre » russe,

- la création de la " IIIᵉ Internationale ",

- les thèses " léninistes " sur la question nationale et coloniale,

- le congrès de Bakou unissant les peuples d’Orient au prolétariat occidental,

sans parler des expériences acquises dans la lutte par Ho Chí Minh lui-même : " Pour sauver le pays et libérer le peuple, il n’y a pas d’autre voie que celle de la révolution prolétarienne ", conclut-il.

Dans ce binôme politique, " nationalisme-internationalisme ", quel est le facteur essentiel ?

On pourrait se demander : « Pourquoi Nguyễn Ái Quốc (Ho Chí Minh) se préoccupait toujours de la question coloniale, ne tenant pas compte assez des problèmes d’actualité brûlante d’alors.

Était-il un communiste " internationaliste " ou un pur " nationaliste " ? »

La réponse est évidente : comment le citoyen d’un pays martyrisé chaque jour par le colonialisme, pouvait-il ne pas être obsédé par l’amour de sa patrie, l’esprit national étant un levier puissant et unique de son action ?

Mais Ho Chí Minh est en même temps un militant international éclairé.

Le patriote devenu « communiste » a acquis une méthodologie dialectique, rehaussé son esprit, élargi sa vision à la dimension de l’époque. Le cercle de ses amis et camarades ainsi que l’aide internationale sont devenus aussi plus efficaces.

La perspective de la libération nationale s’est faite plus radieuse.

Il a proposé au PCF, avec d’autres partisans " de couleur ", de créer une section d’étude coloniale. Il a demandé au quotidien " L’Humanité " d’ouvrir une rubrique permanente sur les problèmes coloniaux. Son nom, Nguyễn Ái Quốc et ses articles sont devenus familiers aux lecteurs coloniaux.

" Internationaliste " véritable, Ho Chí Minh, allant au-delà des " colonisés ", s’intéresse à tous les déshérités du monde, à l’indépendance des Irlandais, au sort des " Noirs " aux Etats-Unis, condamne les crimes coloniaux au Dahomey, en Algérie, à Madagascar.

Le grand mérite de Ho Chí Minh, c’est d’avoir contribué à l’expansion et à la réalisation de la thèse " léniniste " concernant la révolution coloniale grâce à la réussite de la lutte révolutionnaire de libération du Vietnam et la victoire du mouvement de libération nationale au XXᵉ siècle.

Le PCF a hautement apprécié ses contributions à la ligne du PCF concernant la question coloniale, " créant ainsi une tradition glorieuse, il mérite d’être un des maîtres du PCF " dans ce domaine.

Ho Chí Minh " social-démocrate " ?

A l’heure actuelle où le " modèle suédois " est sous les projecteurs, certains chercheurs n’hésitent pas à qualifier Ho Chí Minh de " social-démocrate " et non de « communiste ».

Ho Chí Minh (Nguyễn Ái Quốc) n’a jamais renié le « communisme ».

Durant cinquante années d’appartenance « communiste », du photographe parisien au Président du Vietnam, du prisonnier politique à l’homme politique au zénith, il est resté « communiste » à sa manière.

En août 1944, lorsque le général " seigneur de guerre " chinois Zhang Fakui vint le libérer à Liuzhou, il lui déclara : « Je suis communiste, mais ce qui me préoccupe à l’heure actuelle, c’est la liberté et l’indépendance du Vietnam et non le communisme. Je pourrais vous garantir que dans cinquante ans, le communisme n’aura pas été une réalité au Vietnam. » (" Souvenirs de Zhang Fakui ", Revue hebdomadaire " l’Union ", Hong Kong, 1962).

En 1946, à Paris, pour dévaloriser Ho Chí Minh auprès des Français anti-communistes, un " journaliste " de droite lui posa une colle : " Monsieur le Président, êtes-vous communiste ? "

Le Président tira des fleurs d’une corbeille posée sur une table pour les offrir à tout le monde, en premier lieu aux femmes, disant : " Je suis communiste comme ça ! "

Ce geste élégant d’un " communiste " vietnamien avait une force dissuasive efficace.

Dans son testament, Ho Chí Minh a recommandé aux membres du PCV : " Nous sommes un parti au pouvoir... Il faut garder au Parti son entière pureté, se rendre parfaitement digne de son rôle de dirigeant, de serviteur vraiment fidèle du peuple. "

Partisan du « communisme », Ho Chí Minh savait très bien que la réalisation de cet idéal demandait un long processus, un haut niveau de développement économique, culturel et social. Il jugeait que pour le Vietnam, cet idéal était encore lointain.

A l’échelle du monde, il répondit en 1946, à Paris, à un " journaliste " français que chacun avait la liberté d’étudier une doctrine et qu’il l’avait fait avec celle de Karl Marx, – que Jésus, il y a deux mille ans, nous avait enseigné l’amour même de notre ennemi, chose non encore réalisée à ce – qu’il ne lui est pas possible de donner la date de l’accomplissement du « communisme ».

Ho Chí Minh, qui est-ce ?

Pour répondre à cette question, il faut suivre le jeune Nguyễn Tất Thành (Ho Chí Minh) à travers les étapes de sa vie après son débarquement en France, fin 1911.

Il a d’abord adopté le " réformisme " du lettré Phan Chu Trinh. Sans doute, suivant la suggestion de ce dernier, il a fait une demande d’entrer à " l’Ecole coloniale " dans l’espoir d’acquérir des connaissances utiles pour le pays.

En 1919, avec Phan Chu Trinh et l’avocat Phan Văn Trường, il a présenté les " Revendications en 8 points " à la " Conférence de paix de Versailles ", expérimentant un moyen légal de lutte pacifique pour exiger la reconnaissance des droits démocratiques minimum pour le peuple vietnamien.

Avec cet acte, on ne lui a jamais reproché d’être un " réformiste ".

Avant de devenir « communise », il a été membre du Parti " socialiste " français, " IIᵉ Internationale ". Il s’est séparé de lui au Congrès de Tours, mais a gardé des relations amicales avec les membres de ce parti qui avait guidé ses premiers pas dans la vie politique française.

Evidemment, cette attitude ne suffit pas à le qualifier de " social-démocrate " authentique.

Pourrait-on l’appeler " social-démocrate " à cause de son comportement pacifique dans les transactions politiques : il évite " l’extrémisme ", recherche l’alliance, le dialogue, persévère dans les solutions pacifiques concernant les problèmes nationaux et internationaux.

Tous les choix de Ho Chí Minh : le " marxisme-léninisme ", comme toute autre doctrine politique ou religieuse étrangère – " bouddhisme ", " confucianisme " – sont toujours " vietnamisés " par Ho Chí Minh sur la base des traditions culturelles, idéologiques et morales, selon le style de vie du peuple vietnamien.

Engagé dans la voie " marxiste ", il est naturel que Nguyễn Ái Quốc (Ho Chí Minh) accepte la théorie de la « lutte des classes ». Mais conscient des réalités vietnamiennes, il ne considère pas cette théorie comme le " levier révolutionnaire " unique, absolu, il l’adapte aux réalités vietnamiennes.

Alors que le " marxisme-léninisme " met l’accent sur la lutte des classes et la " dictature prolétarienne ", Nguyễn Ái Quốc (Ho Chí Minh) pense qu’au Vietnam, la lutte des classes n’a pas lieu comme en « Occident » et que le nationalisme est un levier puissant et qu’on ne peut rien faire avec les " Annamites " si on ne se base pas sur ce grand et unique mobile de leur vie sociale.

Pendant les premières années de la guerre de résistance contre l’agression française, Ho Chí Minh a critiqué le dogmatisme " gauchiste " de certains militants fraîchement revenus de l’étranger, partisans intransigeants de la lutte des classes, qui voulaient réaliser une lutte des classes radicale sans tenir compte des circonstances concrètes du pays.

Concernant le pouvoir politique, Ho Chí Minh n’a jamais proclamé un Etat de " dictature prolétarienne ", mais il a envisagé un Etat de République démocratique représentatif de l’union nationale.

« Communiste », il est naturel que Ho Chí Minh accepte la mission historique de la « classe ouvrière », mais quand Nguyễn Ái Quốc faisait ses premières " armes politiques " dans les années 20 du siècle dernier, la classe ouvrière vietnamienne, peu importante en nombre, commençait seulement à se former, il n’y avait pas encore un prolétariat industriel et une force ouvrière réelle dans l’arène politique.

Nguyễn Ái Quốc avait écrit des articles sur le mouvement ouvrier en Inde, en Chine, au Japon, en Turquie, mais il n’avait pas écrit sur le mouvement naissant au Vietnam.

Après la « Révolution » de 1945 suivie de la guerre de résistance contre les Français, Ho Chí Minh affirma : " Seule la direction de la classe ouvrière permet la victoire de la résistance et la réussite de la construction nationale. "

Les arguments précités montrent que les points de vue de Ho Chí Minh ne ressemblent en rien aux positions de la " social-démocratie " dans ce domaine. Il ne renie pas la « lutte des classes » pour faire des concessions, la lutte révolutionnaire afin d’accepter des réformes au " compte-gouttes " de la part des pays impérialistes et colonisateurs.

Il ne croit pas que l’indépendance nationale et la liberté des peuples pourraient être acquises par le " parlementarisme " prôné par les " sociaux-démocrates ". D’où son désaccord avec les " socialistes " français qui avancent des thèses alambiquées inscrites dans des résolutions sonores pour être déposées dans les musées.

C’est la raison pour laquelle il a voté pour la " IIIᵉ Internationale ", devenant un militant " international " intransigeant pour l’indépendance du Vietnam et d’autres peuples coloniaux.

Des principes à l’application, Ho Chí Minh se base sur des circonstances concrètes.

Le problème essentiel n’est pas de savoir si Ho Chí Minh est " social-démocrate " ou « communiste », mais de savoir comment il est communiste.

Remarquons que parmi les dirigeants « communistes », il y en a qui sont dictateurs, dogmatiques, opportunistes, " gauchistes "...

D’autres comme Antonio Gramsci, dirigeant du PC italien, préconise qu’il faut remplacer la notion de " dictature du prolétariat " par celle de l’hégémonie du prolétariat, mettre l’accent sur le rôle directeur de l’esprit et de la vertu et non le pouvoir étatique.

Ou comme Rosa Luxemburg, leader du PC allemand, qui considère que le centralisme démocratique ne concentre le pouvoir que pour un groupe tandis que les autres organisations ne sont que les instruments du pouvoir central.

D’après elle, le " réformisme " pourrait être le produit de la « révolution » ; le choix entre " réforme " et " violence " dépend de la situation révolutionnaire ; la violence ne doit être que la dernière étape de l’action ; c’est un " couteau à double tranchant ".

Antonio Gramsci et Rosa Luxemburg étaient des dirigeants « communistes » quand le parti n’était pas au pouvoir. Ho Chí Minh, lui, a gouverné le pays pendant vingt-quatre ans. Au service de son peuple, il a toujours placé l’intérêt du pays et du peuple au-dessus de l’intérêt de classe et de groupe.

Il a toujours été un serviteur du peuple, intègre, pionnier dans la lutte contre la corruption, le gaspillage, le " bureaucratisme ".

Il est le modèle du « communiste » gouvernant par la persuasion, mettant l’accent sur l’intelligence, la moralité et la démocratie.

Intellectuel, il sait apprécier les intellectuels, ce qui lui vaut la collaboration dévouée des intellectuels de toutes tendances politiques, dans le pays et à l’étranger.

Les qualités morales de Ho Chí Minh ne sauraient être attribuées uniquement au " confucianisme ". Né et formé dans une famille de lettrés " confucéens ", il est naturel que Nguyễn Tất Thành ait acquis certaines qualités enseignées par Confucius, telles que la loyauté (" trung ") et la juste réciprocité (" thứ ") qui visent à ne faire à autrui que ce que vous voulez qu’on vous fasse.

Tenant compte de cette influence, il faut cependant chercher le noyau de la personnalité de Ho Chí Minh dans les valeurs traditionnelles du Vietnam - esprit national, humanitaire, communautaire - forgées à travers une longue Histoire nationale.

Loin d’être un « communiste » dogmatique, Ho Chí Minh est un communiste " humaniste ", doté d’un esprit indépendant, créateur, un homme politique réaliste.

Après le séjour d’une année à Moscou, le jeune Nguyễn Ái Quốc a fait une remarque qui appelle des discussions : " Marx a construit sa doctrine sur la base d’une philosophie déterminée de l’Histoire. Mais quelle Histoire ? Celle de l’Europe. Mais qu’est-ce l’Europe ? L’Europe, ce n’est pas toute l’humanité. "

C’est une réplique judicieuse à " l’eurocentrisme " de l’époque.

Ho Chí Minh est parti des traditions culturelles vietnamiennes pour percevoir et appliquer le " marxisme ". Il fut le premier « communiste » à reconnaître et apprécier le potentiel de la révolution coloniale en Orient.

En ce temps, les partis « communistes » de la " IIIᵉ Internationale " estimaient que le problème de la libération des peuples coloniaux ne pourrait être résolu qu’après la réussite de la révolution prolétarienne en « Occident » : Marx, Engels, même Lénine, ne pensaient pas à la possibilité pour les peuples coloniaux de se libérer dans l’encerclement impérialiste.

Pourtant, Ho Chí Minh a avancé un argument contraire en se basant sur l’analyse des réalités économiques, politiques et sociales de l’Asie :

- propriété collective des terres,

- sollicitude pour les vielles gens,

- " haute considération pour le peuple " (Mencius),

- condamnation du " parasitisme "...

D’après lui, la révolution coloniale dans la voie prolétarienne pourrait éclater en Asie si on y propageait avec ardeur le « communisme » ; si on voulait sincèrement aider les travailleurs à briser le joug des oppresseurs, ils deviendraient une force colossale en détruisant un des facteurs d’existence du « capitalisme », c’est-à-dire « l’impérialisme ».

Ils pourraient même aider leurs frères « d’Occidents » à parfaire leur émancipation.

La pensée politique et culturelle de Ho Chí Minh est le produit de la culture et de la politique du peuple vietnamien, le reflet des valeurs spirituelles traditionnelles.

Les principes " marxistes-léninistes " introduits au Vietnam passèrent par ce prisme de valeurs grâce à Ho Chí Minh.

Sous l’étiquette " marxiste-léniniste ", Ho Chí Minh propagea les valeurs " humanistes " de la culture vietnamienne quand il s’adressa aux membres du Parti et aux fonctionnaires en ces termes : " Il faut nourrir un véritable esprit de camaraderie ", " comprendre le marxisme-léninisme, c’est vivre ensemble avec cordialité. Si l’on apprend beaucoup dans les livres mais que l’on vive ensemble sans cordialité, c’est qu’on ne comprend pas ce qu’est le marxisme-léninisme. "

III . Conclusion

Ho Chí Minh, qui est-ce ?

Les opinions que j’ai recueillies dans cet article diffèrent. Elles se ressemblent, se contredisent ou s’éliminent parfois, mais toujours se complètent.

Chacune jette une lumière sur la personnalité " ondoyante " et diverse de Ho Chí Minh. Il en est de même avec tous les hommes " hors du commun ", créés par des conditions historiques et sociales déterminées mais sachant dépasser les évènements pour être les pionniers de leur époque.

Au cours de son odyssée de trente ans, en quête d’une voie de salut national, Ho Chí Minh a connu beaucoup de pays et de nombreuses cultures, fait connaissance avec nombre de doctrines et de maîtres, mais il a choisi de n’apprendre que ce qui convenait aux Vietnamiens, " apte à servir notre œuvre de libération nationale, conforme à la culture nationale, refusant tout dogmatisme.

En dépit de toute pression, il a su garder son identité propre, celle d’un homme politique de taille, inaliénable, insoumis.

Il représente un petit peuple face aux grandes puissances, même en fait d’acculturation idéologique. "

Ho Chí Minh, qui est-ce ?

A mon humble avis, il est un Voltaire, en ce sens qu’il sait comme Voltaire " jouer " et " gagner ".

Ho Chí Minh sait " jouer " : il a su mettre à profit toutes les occasions et moyens pour réaliser le but de libération nationale.

Il a gagné grâce à un fonds culturel riche et solide, un idéal élevé, la pureté de son caractère, la souplesse de sa pensée.

Il a donné des conseils pratiques tels que : " Faire face aux contingences par des principes durables " pour dire : " Quand la situation a changé, les tâches adhérentes, les lignes politiques et mots d’ordre doivent aussi changer pour s’y adapter. "

On considère Ho Chí Minh comme l’incarnation de l’aspiration à l’indépendance et la liberté, la " conscience " des peuples opprimés.

Le magazine étasunien " Time " a publié, en décembre 1999, le résultat d’un vote comprenant 7 millions de bulletins ; il s’agissait de déterminer les cent personnalités les plus représentatives du XXᵉ siècle.

Parmi les 100 élus, Ho Chí Minh figure avec Lénine, Gandhi, Churchill, Khomeney, Mandela... dans le groupe des 20 leaders politiques les plus prestigieux.

NGO Tran Duc

Le Grand Soir.fr