Hollande-Mohammed VI, nouvel axe antiterroriste
Hollande-Mohammed VI, nouvel axe antiterroriste
Une convocation adressée par la justice française au patron des services de renseignement marocains avait gelé pendant plus d’un an toute coopération sécuritaire entre Paris et Rabat. François Hollande et le roi Mohammed VI ont célébré ce 20 novembre leurs retrouvailles sur fond de coopération antiterroriste.
François Hollande et Mohammed VI le 20 novembre 2015 à l’Elysée - Michel Euler/AP/SIPA
La France regorge d’amis proclamés du Maroc, mais cela n’avait pas suffi à calmer la colère royale. C’est dire si le royaume n’avait pas digéré l’épisode, au point de geler pendant un an toute coopération judiciaire et sécuritaire entre les deux pays, et ce en pleine montée de la menace terroriste. Finies les demandes d’entraide, les extraditions, les auditions de témoins, et même les mariages. En croix, toutes les enquêtes sensibles.
Cette situation est à présent terminée. Un renseignement des services marocains a contribué à mettre les enquêteurs français sur la piste d’Abdelhamid Abaaoud, commanditaire présumé des attentats de Paris. Dans la foulée, ce 20 novembre, François Hollande a reçu Mohammed VI à l’Elysée.
Retour sur les raisons de la forte brouille.
Paris tenta de plaider dans les premiers jours la « maladresse », mais pour Rabat, la visite d’une demi-douzaine de policiers du commissariat de Neuilly-sur-Seine à la résidence de l’ambassadeur du Maroc, venus notifier au patron de la direction du Renseignement, Abdellatif Hammouchi, une demande d’audition émise par la justice française, le 20 février 2014, n’était pas un « incident ».
Pas seulement parce que la Place Beauvau, où une réunion s’était tenue le matin même, aurait pu prévenir ses hôtes de l’imminence de cette visite – les Marocains n’imaginaient pas un instant que les autorités politiques n’aient pas été informés de cette démarche judiciaire. Si un juge français était capable de cibler ainsi, pour des motifs que Rabat conteste - le juge instruit les plaintes déposées par des ONG défendant des victimes de torture - l’homme fort de l’appareil de sécurité marocain, plus aucun responsable chérifien n’était en sécurité dans l’Hexagone.
Abdellatif Hammouchi n’était même pas sur place le jour de cette outrecuidante visite, il s’agissait juste de l’entendre de manière consentie, aucun moyen de coercition n’ayant été envisagé, mais le mal était fait. Déjà que l’autre pilier de l’appareil sécurité marocain, le Général Benslimane, ne pouvait plus mettre les pieds en France sous peine d’être attrapé par la manche par le juge chargé du dossier Ben Barka, - cet opposant disparu en plein Paris il y a maintenant 50 ans - lui qui est l’un des rares témoins encore en vie de l’affaire, autant couper les ponts.
Peu importait qu’en France le pouvoir judiciaire dispose d’une autonomie loin d’être effective au Maroc où elle reste, comme hier en France, le bras armé de l’exécutif. Le Roi a pris l’affront pour lui-même. D’autant qu’il s’est produit après la divulgation, par l’acteur espagnol Javier Bardem, défenseur de la cause sahraoui et bête noire de Rabat, d’une phrase qu’aurait prononcée le représentant permanent de la France à l’ONU à l’approche du renouvellement du mandat de la mission de l’ONU au Sahara occidental : le Maroc est « une maitresse avec laquelle on dort toutes les nuits, dont on n’est pas particulièrement amoureux mais qu’on doit défendre ».
Propos démenti, mais à Rabat, le Sahara occidental, c’est sacré. En plus, le Palais en était convaincu, François Hollande avait beau dire que la France et le Maroc étaient « les meilleurs amis », les socialistes français ont toujours préféré le rival algérien à la monarchie marocaine…
Un froid polaire s’est installé, le pouvoir marocain allant même jusqu’à susciter des manifestations de protestation devant l’ambassade de France à Rabat. L’ire a redoublé lorsqu’on a appris qu’un opposant marocain avait réussi à s’introduire dans les locaux de l’hôpital militaire du Val de Grâce et à accéder à la chambre où était soigné le Général Bennani, patron de l’armée marocaine... auquel le chef d’état major de l’Elysée a du rendre visite pour tenter de recoller les morceaux.
Tous les voyages officiels ont été annulés. Des dizaines d’enquêtes se sont retrouvées dans l’impasse, notamment en matière de trafic de stupéfiants, mais Mohammed VI n’avait pas fini d’afficher son mécontentement : le 11 janvier 2015, ni lui, ni aucun ne ses ministres n’a participé au défilé contre la barbarie en compagnie de François Hollande et de responsables politiques venus du monde entier. « Le temps de la tutelle est désormais révolu », insistait le patron de la diplomatie marocaine, quelques jours plus tard, dans un entretien à Jeune Afrique.
Il faudra des mois de tractations, des dizaines de courriers, autant de courbettes et davantage encore de promesses pour retrouver le fil du dialogue. Tout le monde s’y est mis, de l’Elysée à la Place Beauvau, en passant par le Quai d’Orsay.
Le déclic serait venu de cette proposition émise par un conseiller malin : pour services rendus à la France, Hammouchi sera décoré de la Légion d’honneur. Les Marocains ne sont pas insensibles à cette idée, même si aucune date n’est officiellement fixée pour la concrétiser, mais ils en veulent bien plus. Et obtiennent satisfaction, à en juger par la teneur du protocole d’entraide judiciaire franco-marocaine bientôt validé par Paris.
Des accords qui choquent évidemment tous les défenseurs des Droits de l’Homme, dans la mesure où la France s’engage à prévenir désormais ses homologues de toute action de la justice.
Les Marocains auront un droit de regard préalable qui équivaut, aux yeux de tous les spécialistes, à la pause d’un super-verrou empêchant à l’avenir de prendre quelque ressortissant marocain que ce soit par surprise. Surtout, l’autorité judiciaire marocaine décidera des suites à donner à toute procédure ouverte en France à l’initiative d’un ressortissant marocain pour des faits commis au Maroc, une manière de mettre un terme à cette notion de « compétence universelle » invoquée par la justice dans l’enquête ouverte pour « torture » et « complicité de torture ».
Pas forcément conforme à la Constitution, mais l’Assemblée nationale a validé comme un seul homme, ouvrant la voie à un retour à la « normale » entre les deux pays, scellé par un déplacement de Manuel Valls au Maroc.
A temps, au vu de la contribution essentielle que viendraient d’apporter les services secrets marocains à l’enquête sur les attentats du 13 novembre : ils ont suggéré à la police antiterroriste de retrouver la trace de Hasna Ait Boulahcen, cette fille des cités née en 1989 à Clichy-la-Garenne et radicalisée à la vitesse de l’éclair, dont le corps a été retrouvé dans l’appartement de la rue de la République, à Saint-Denis, au milieu des décombres et des balles (5 000 tirées au cours de la nuit par les forces de police).
Au policier du RAID qui demandait à la jeune femme, à travers la porte blindée, où était son « copain », elle a répondu sèchement, avant de mourir : « C’est pas mon copain ! »
Ecoutée depuis plusieurs semaines par la police judiciaire pour une affaire de stupéfiants, elle serait en effet la cousine du commanditaire présumée des attentat Abdelhamid Abaoud, dit « Le Belge », originaire du Maroc.
Frédéric Ploquin
Marianne