Incendies aux États-Unis : " La méthode française ne marcherait pas chez eux "

, par  DMigneau , popularité : 0%

Incendies aux États-Unis : " La méthode française ne marcherait pas chez eux "

Des pompiers américains luttent contre l’"Apple fire". - JOSH EDELSON / AFP

Alors que l’ " Apple Fire " fait rage dans la Cherry Valley, Carlo Zaglia, rédacteur en chef du magazine " Soldats du Feu " et spécialiste des feux de forêts, répond aux questions de " Marianne " sur la stratégie de lutte contre les incendies des Etats-Unis.

Comme chaque année, ça flambe. Depuis le vendredi 31 juillet, la Cherry Valley et la forêt nationale de San Bernardino, à l’est de Los Angeles, sont réduites en cendre par l’ « Apple Fire ».

Plus de 8 300 hectares partis en fumée, 7 800 personnes évacuées et 1 300 pompiers mobilisés, mais le feu de forêt n’est toujours pas maîtrisé. Outre sa casquette d’officier des Sapeurs-Pompiers, Carlo Zaglia est rédacteur en chef du magazine " Soldats du Feu ", et spécialiste des feux de forêts.

Marianne : Chaque année, les États-Unis font face à des feux de forêts de plus en plus fréquents et ravageurs. Outre le rôle du réchauffement climatique dans ces incendies, n’y a-t-il un problème de stratégie ?

Carlo Zaglia : Les Américains sont très tributaires des aléas météo. S’il y a beaucoup de vent, ça aide à la propagation des feux. L’incendie génère également sa propre chaleur, ce qui va créer des vents chauds et favoriser l’émergence de nouveaux feux, ou alimenter ceux qui brûlent déjà. Et on rentre alors dans une espèce de " spirale infernale " d’incendies.

Leur problématique est de pouvoir identifier les points à défendre. Les États-Unis bénéficient de plus de moyens. Ils ont beaucoup d’hélicoptères, des avions bombardiers d’eau, des camions, et de nombreux pompiers. Mais c’est très difficile de lutter contre les feux, les étés sont de plus en plus terribles.

Il faut attirer l’attention sur un autre point : 95 % des incendies sont toujours dus à l’activité humaine et que 50 % de ceux-ci sont d’origine malveillante.

Comme en France, c’est un problème aux États-Unis.

Marianne : Justement, quelles sont les différences de doctrine entre la France et les Etats-Unis ?

Carlo Zaglia : En France, en raison de la concentration périurbaine et de la taille du territoire, nous avons une méthode stratégique et forte, c’est-à-dire qu’on envoie la " grosse cavalerie " immédiatement.

Admettons que nous sommes sur un feu et qu’un autre se déclenche ailleurs, on va directement envoyer les " Canadairs " que nous avions sur le premier feu vers le deuxième, on envoie donc directement les gros moyens.

Aux États-Unis, comme en Australie d’ailleurs, ils vont d’abord procéder à une analyse du risque, pour ensuite effectuer le déploiement des moyens, qu’ils vont adapter en fonction de l’ampleur du feu.

Ils font face à des fronts de flammes de plusieurs kilomètres, donc ils ont un système de prévention plus fort qu’en France. Ils vont procéder à des débroussaillements, à des " incendies de prévention ", etc.

Ils procèdent également à une évacuation systématique, alors qu’en France on privilégie le confinement et on évacue si besoin.

Marianne : La méthode française serait-elle plus efficace d’après vous ?

Carlo Zaglia : Il n’existe pas de méthode " meilleure " qu’une autre dans l’absolu, tout dépend du terrain où l’on se trouve. Une expression chez les pompiers dit que " c’est le terrain qui commande ".

Aux États-Unis, il n’y a pas le même type de végétation qu’en France : elle est plus basse, constituée d’arbustes, de buissons. Les incendies qu’ils ont sont des feux " d’espaces naturels ". Ces feux - les " big fires " - sont multipliés par dix par rapport aux nôtres. Ils peuvent s’étendre sur plusieurs kilomètres. Leurs forêts sont dimensionnées de façon différente par rapport à celles de la France, il y a là-bas un véritable problème de " relief de végétation ".

Je sais que les États-Unis commencent à s’intéresser à ce que nous faisons en France. Mais les doctrines sont spécifiques à ce que nous connaissons, notre méthode ne marcherait pas chez eux, et réciproquement.

En revanche, on pourrait trouver à redire à leur politique d’urbanisme, il y a un vrai problème à ce niveau. Les habitations s’étendent de plus en plus près des forêts à risque et on voit se développer l’utilisation de pompiers privés. Ce qui veut dire que si vous avez de l’argent, votre maison va être protégée, mais si vous n’en avez pas, votre maison pourrait brûler.

En France, nous n’avons pas ça ; ce serait d’ailleurs terrible. Les secours sont gratuits, c’est un principe démocratique.

Marianne : Les pompiers américains ont-ils des lacunes, dans leur formation par exemple, qui expliqueraient ces feux à répétition ?

Carlo Zaglia : Non, ils n’ont pas de lacunes, ils sont très bons en tant que pompiers et ont tout mon respect.

En termes de " feux de structure ", ils sont même excellents.

En France, le pompier est polyvalent, alors qu’aux États-Unis, ils ne sont formés qu’à la lutte contre les incendies et ne font que ça. Parfois, nous sommes face à une " impossibilité opérationnelle ". On ne sera pas capable de tout protéger. Alors, on se concentre sur la population et les biens matériels passent au second plan.

Angéline GUILLIN

Marianne