Le Crédit Suisse ou la faute à pas de chance
Le Crédit Suisse ou la faute à pas de chance
Presque simultanément s’ouvrent en ce moment, en Suisse, deux procès " hors norme ". L’un devant le tribunal pénal fédéral de Bellinzona et l’autre devant le tribunal correctionnel de Genève.
Le ministère public reproche aux accusés du premier procès, un ex-employé, conseiller à la clientèle de l’établissement de crédits à la consommation, « Bank-now », une filiale du Crédit Suisse, le financement de la guerre civile au Sri Lanka, avec la complicité de 12 membres de la diaspora tamoule.
Entre 2007 et 2009, la banque aurait accordé 200 prêts d’un total de 15 millions CHF à 182 ressortissants Sri lankais, sommes qui auraient été acheminées jusqu’au Sri Lanka sous forme d’argent liquide, en transitant par Singapore et la Malaisie, pour finir sur les comptes de l’organisation indépendantiste « Tamil tigers ».
Lors d’une audition du parquet, un ex-directeur des ventes de « Bank-now » admet que « je suppose que nous avons accepté la situation telle quelle et que nous n’avons pas assez pris en compte les risques évidents ».
Nonobstant, « Bank-now » s’estime lésée dans l’affaire et se présente comme " codemanderesse " dans le procès (Le Temps). Certains banquiers ne manquent pas d’air. En tout cas, la défense n’a que très peu goûté la réaction de la banque et a du coup également porté plainte, mais auprès de la FINMA cette fois (L’Autorité fédérale de la surveillance des marchés financiers), pour « non-respect du devoir de diligence ».
On se souvient à cette occasion d’une autre affaire du Crédit Suisse, également entre les mains de la FINMA, le financement douteux, organisé par la banque, de 24 bateaux de pêche, de navires de patrouille ainsi que divers équipement nautique pour la somme de 2 milliards USD à l’intention de trois entreprises publiques mozambicains, agissant sans consultation du parlement.
La République du Mozambique est actuellement en cessation de paiement.
Le business des crédits à la consommation est une affaire juteuse, car il est connu que les débiteurs insolvables remboursent d’abord la banque avant de finir à « l’aide sociale », raison pour laquelle l’objectif est de gagner « des parts de marché », plutôt que de perdre du temps avec l’examen exhaustif des demandes de crédit.
Raison pour laquelle également l’œuvre d’entraide suisse « Caritas » a porté plainte contre la banque auprès de la FINMA. (Republik..ch). « Bank-now » se partage le marché suisse avec sa concurrente « Cembra Bank » (General Electric Capital).
Toutes les deux sont connues pour leur publicité racoleuse.
Le deuxième procès, celui de Genève, concerne un ex-employé du Crédit Suisse, accusé d’avoir détourné, entre 2007 et 2014 la somme de 150 millions USD au détriment de ses clients russes, notamment, de l’ex-premier ministre géorgien Bidzina Ivanishvili (2012-2013) qui a perdu 120 millions USD dans l’affaire.
Ancien directeur de la maison « Yves Rocher » de Russie l’accusé, de nationalité française, devait se dire que s’il réussissait dans les produits cosmétiques, il pouvait faire autant dans la finance et le Crédit Suisse semblait avoir été d’accord.
Suite à la crise financière de 2008, fidèle à l’indémodable modèle du « Ponzi scheme », les avoirs de l’ex-premier ministre servaient à éponger les pertes des autres clients. Ne se doutant de rien, celui-ci, enchanté par les « excellents services » de son conseiller aurait fait preuve de générosité en lui versant la somme 1,5 millions USD en guise de " bonus ", sans la connaissance du Crédit Suisse, en plus de son salaire.
Depuis 2011, et suite au scandale autour de la fortune du dictateur nigérien Sani Abacha et tant d’autres, la FIMA (L’autorité fédérale de surveillance des marchés financiers) oblige les banques à une diligence particulière quand il s’agit de clients étrangers, exerçant des mandats politiques.
Depuis, les activités bancaires des PEP (politically exposed persons) sont censés être surveillées par des « cellules spéciales », pour écarter le risque de corruption. Le fait qu’il s’agit ici d’une personnalité politique aggrave le cas pour la banque qui, comme dans le cas de Bellinzona, n’est pas mise en cause, bien que le procureur genevois Yves Bertossa, fustige « les manquements flagrants au niveau de la surveillance. »
Dans ce contexte, on peut lire ses jours dans la presse française (" Canard enchainé ") que l’administration fiscale française aurait transmis à la banque « Société Générale » un redressement fiscal pour récupérer un crédit d’impôt de 2,2 milliards EU, précédemment accordé à la banque, dans le cadre de l’affaire de l’ancien " trader " Jérôme Kerviel qui, du coup, ne peut plus être considérée comme un fraudeur, car en plus du fait qu’il n’y a pas eu « enrichissement personnel », la décision de l’administration fiscale sonne comme un aveu quant au manquement flagrant au « devoir de surveillance » de la part de la banque.
Cela jette également une autre lumière sur le procès de l’ancien " trader ", dont les frais de dédommagement en faveur de la Société Générale ont fondu comme " neige au soleil " depuis le premier procès, de 4,9 milliards EU à 1 million EU aujourd’hui.
En revanche, la banque devra, d’après une décision du Conseil des prud’hommes de Paris datant de 2016, s’acquitter de 455 000 EU en faveur de son ancien employé pour licenciement « sans cause réelle et sérieuse ».
L’ancien " trader ", dont la vie a été gâchée, a servi, au même titre que les accusés des procès suisses, de parfait bouc émissaire pour garantir le maintien et la continuité d’un système qui court à sa perte.
L’épilogue de tous ces procès n’est pas encore écrit. La résistance semble s’organiser, petit à petit : le rétropédalage du fisc français, la tactique du salami de la justice française, le coup de gueule du procureur genevois, les plaintes de la défense du procès de Bellinzona.
Bruno Hubacher
AgoraVox