Ni Bachar, ni Daech : haro sur la ligne Fabius

, par  DMigneau , popularité : 0%

Ni Bachar, ni Daech : haro sur la ligne Fabius

La doctrine prônée par le Quai d’Orsay en Syrie peut-elle encore tenir, alors que « l’ennemi » est désormais clairement désigné par Hollande et Valls ?

« La France est en guerre » et « l’ennemi, c’est Daech ». Les termes employés par Manuel Valls tout au long du week-end ne souffrent pas d’ambiguïté. Même François Hollande, au vocabulaire habituellement moins belliqueux que son Premier ministre, a parlé dès le lendemain des attentats d’un « acte de guerre commis par une armée terroriste, Daech ».

Le constat est là, implacable, et il pourrait bien bousculer la ligne prônée par le ministère des Affaires étrangères dans le dossier syrien. Car depuis son arrivée à la tête du Quai d’Orsay en 2012, Laurent Fabius reste ferme : Bachar al-Assad, tenu pour premier responsable d’une guerre qui a fait 250 000 morts, doit partir. Et même si le groupe État islamique est un ennemi de la France, il n’est pas question de coopérer avec le régime syrien pour le combattre.

Une sorte de « ni-ni » sur lequel l’opposition a concentré ses critiques au lendemain des attaques de vendredi. Nicolas Sarkozy a demandé dimanche à François Hollande « une inflexion » de sa politique étrangère - oubliant au passage que son gouvernement tenait la même position lorsque la guerre a débuté en Syrie, en 2011. « Ces inflexions, nous les demandons depuis longtemps, pas depuis vendredi soir », insiste auprès de Marianne le député Pierre Lellouche, délégué aux affaires internationales de LR, estimant que « Fabius est de plus en plus isolé ».

François Fillon, partisan de longue date d’une alliance franco-russe contre Daech, a appelé samedi sur TF1 à « arrêter d’avoir des vapeurs avec la Russie, comprendre qu’on doit travailler avec l’Iran et même accepter - pour un temps - une certaine coopération avec le régime syrien ».

Même Alain Juppé a changé d’avis. « J’étais sur la ligne du gouvernement, ni Daech ni Bachar », a reconnu le maire de Bordeaux, samedi sur France 2. « Aujourd’hui, il y a des hiérarchies, il y a des priorités : il faut écraser Daech. Ensuite, nous verrons comment organiser la réconciliation des Syriens en changeant les équipes à Damas. »

A " gauche " aussi, des voix appellent à changer de braquet. « Le principe de réalité montre par l’absurde qu’il faut abandonner ce ni-ni », explique à Marianne le député PS Gérard Bapt qui préside le groupe parlementaire d’amitié France-Syrie. « Au lieu de se cristalliser sur la personne de Bachar, il faut empêcher un effondrement de l’État syrien, sinon on se retrouvera avec la même situation qu’en Libye. »

Hubert Védrine appelait, lui aussi, depuis plusieurs mois à un tournant. Pour celui qui a été ministre des Affaires étrangères de François Mitterrand, la lutte contre l’EI passe par un dialogue avec Bachar. « N’oublions pas qu’au moment de combattre Hitler, il a fallu s’allier avec Staline », remarquait-il fin septembre sur France Inter.

Certes, les lignes ont un peu bougé, notamment depuis que l’aviation française a commencé ses frappes en Syrie fin septembre. Jean-Yves Le Drian, alerté par ses services sur la progression de l’EI sur le territoire syrien, semble ainsi avoir remporté un arbitrage contre la « doctrine Fabius ». Dans ses déclarations, le ministre de la Défense se démarque d’ailleurs régulièrement de son collègue des Affaires étrangères. « La menace pour la France, c’est Daech », martelait-il encore début octobre sur Europe 1. « Bachar, c’est l’ennemi de son peuple ».

L’engagement militaire français reste toutefois bien timide. Depuis le début de l’opération « Chammal » en Irak en septembre 2014, la France n’assure que 3,5 % de l’effort de la coalition, rappelle L’ Opinion. En outre, ces opérations s’apparentent surtout à des réponses ponctuelles aux agissements terroristes en France. Ainsi, c’est peu après l’attaque du Thalys que François Hollande a annoncé les premiers vols de surveillance en Syrie.

La même logique de réplique a prévalu dimanche, lorsque des chasseurs français ont bombardé le fief de l’EI à Raqa, 48 heures après les attaques de Paris. Notons qu’il ne s’agit que du cinquième raid français dans le pays en deux mois.

Le choc suscité par ce sanglant 13 novembre va-t-il conduire à une remise en cause plus globale de la ligne du Quai d’Orsay ?

Difficile à dire, tant les déclarations de l’exécutif restent floues. Interrogé sur RTL lundi, Laurent Fabius a rappelé sa position : « S’il n’y a pas d’unité en Syrie, c’est parce qu’il [Bachar al-Assad] pourchasse les opposants modérés, donc on ne peut pas faire comme si la question n’existait pas. »

Quelques heures plus tard, devant le Congrès, François Hollande a tenté de trouver un juste milieu. D’un côté, « Bachar al-Assad ne peut constituer l’issue » du conflit. Mais de l’autre, « notre ennemi en Syrie, c’est Daech » et « une grande et unique coalition » devra le combattre, a martelé le chef de l’État.

Reste une question cruciale, à laquelle François Hollande n’a pas donné de réponse : Bachar fera-t-il partie de cette « grande et unique coalition » ?

Louis Hausalter

Marianne